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Le principe de gratuité dans l’enseignement supérieur, quelle application ?

Le 24 octobre 2019
Le 11 octobre 2019, le Conseil Constitutionnel se prononçait sur la question de la hausse des frais de scolarité pour les étudiants extra-européens. La Haute Cour entérine le principe de gratuité. Nous vous proposons d'analyser cette décision.

Article rédigé par Maître Haywood WISE, avocat et Victoire VINCENT, stagiaire

Cabinet d'avocats Haywood WISE

La hausse des frais de scolarité pour les étudiants étrangers fut annoncée en novembre 2018 et entra officiellement en vigueur en avril 2019, avec l’arrêté du 19 avril 2019 relatif aux droits d’inscription dans les établissements publics d’enseignement supérieur relevant du ministre chargé de l’enseignement supérieur.

 Le calcul du gouvernement est au premier abord simple. Un étudiant de l’Enseignement supérieur coûterait à l’Etat environ 10 000 euros par an, selon un calcul prenant en compte la dotation étatique aux universités divisée par le nombre d’étudiants.[i] En comparaison, les frais d’inscription s’élèvent à 170 euros en Licence et 243 euros en Master.[ii] Ces frais relativement faibles se justifieraient entre autres par la politique française de solidarité nationale quant à l’éducation. Cependant, puisque les étudiants extracommunautaires ne paient pas d’impôt en France, leur participation aux coûts de l’Enseignement supérieur devrait être en contrepartie plus grande tout en demeurant accessible. C’est ainsi, parmi d’autres arguments avancés, que le gouvernement justifia une hausse des frais d’inscription à 2 770 euros pour une année de Licence et 3 770 euros pour une année de Master pour certains étudiants étrangers.  

 Cette hausse fut vivement critiquées par des étudiants et des académiques. D’une part, cela remet en cause les projets de formation de nombreux étudiants. D’autre part, cela peut constituer un frein à l’éducation pour des familles aux ressources limitées.[iii]

 Un recours fut donc porté en justice contre l’arrêté du 19 avril 2019 dans le cadre duquel une question prioritaire de constitutionalité fut déposée par les requérants, des associations étudiantes et des syndicats nationaux de l’enseignement supérieur. Le Conseil d’Etat dut donc surseoir à statuer jusqu’au prononcé de la décision du Conseil constitutionnel. Celui-ci a rendu, le 11 octobre, une décision qui peut être résumée en deux phrases. Le principe constitutionnel de gratuité de l’instruction s’applique à l’enseignement supérieur. Mais ce principe ne s’oppose pas à la mise en place de droits d’inscription modiques tenant compte, le cas échéant, des capacités financières des étudiants.[iv]

 Le Conseil constitutionnel base sa décision sur l’alinéa 13 du préambule de la Constitution de 1946, partie intégrante du ‘bloc de constitutionnalité’, alinéa selon lequel :

« La Nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L'organisation de l'enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l'Etat. »

Si le principe de gratuité est depuis la loi du 16 juin 1881 reconnu dans le cadre de l’enseignement primaire public, et depuis 1933 dans le cadre de l’enseignement secondaire public, il n’avait jamais été appliqué à l’enseignement supérieur. En effet, on aurait pu considérer que cet « enseignement public » était constitué des deux degrés précités, l’enseignement primaire et l’enseignement secondaire, et que l’enseignement supérieur n’en faisait pas parti puisqu’il n’a jamais été reconnu comme « enseignement de troisième degré » ou « troisième cycle ».

Il s’agit donc bien d’une décision inédite.

 En revanche, les conséquences de cette décision ne sont pas aussi claires que la reconnaissance du principe de gratuité. En effet, le principe de gratuité ne signifie pas, selon une interprétation classique, que le bénéficiaire n’a aucun frais à payer dans le cadre de son accès au service. Par exemple, si l’enseignement primaire public est gratuit depuis 1881, les fournitures scolaires sont toujours à la charge des familles et pendant un temps, ces frais comprenaient notamment l’uniforme. De même, l’enseignement secondaire public est gratuit depuis 1933 mais cette gratuité ne comprend pas les manuels scolaires des lycéens. [v]

 Le débat n’a donc pas été tranché, puisque le Conseil d’Etat peut interpréter objectivement ou subjectivement l’adjectif  « modiques » qualifiant les droits d’inscription que les ministres compétents peuvent mettre en place.

 Le Conseil d’Etat pourra étudier la situation de manière abstraite, sans prendre en compte ni les circonstances économiques de l’enseignement supérieur ni les situations personnelles des étudiants. Il peut aussi suivre l’avis du gouvernement qui avance que des frais d’inscriptions s’élevant à moins de 30% ou 40% de la dotation gouvernementale sont relativement faibles.

Enfin, le Conseil d’Etat peut choisir une interprétation au cas par cas, selon les ressources personnelles de chaque étudiant concerné par l’augmentation.

 Toutefois, l’interprétation dépasse le champ de l’inscription à l’université car l’enseignement supérieur comprend d’autres formations. Ainsi, les frais d’inscription de certaines écoles d’ingénieur rattachées au Ministère de l'enseignement supérieur, telles que l’école des mines de Nancy et les écoles Centrales extérieures aux universités, s’élevaient à 2 500 euros en 2019/2020.[vi]

 Si le Conseil d’Etat choisit une interprétation objective, indépendante de toute considération personnelle basée sur les situations des étudiants ou la situation économique de ces écoles, s’agit-il de sommes modiques ? En cas de réponse négative, il pourrait s’agir d’un retournement de situation. Si les sommes de 2 770 et 3 770 euros pour des étudiants étrangers ne sont pas « modiques », est-ce que les sommes payées par les étudiants s’inscrivant en école d’ingénieur ne le sont plus ?  Dans le cas contraire, sur quel fondement justifier la différenciation ? L’enjeu est important, alors que ces frais financent les écoles d’ingénieur. L’enseignement supérieur français devra-t-il s’adapter ?

 Au contraire, si le Conseil d’Etat choisit une interprétation subjective, cela permettrait d’avancer l’argument utilisé par les partisans de ces frais d’inscription élevés, pour lesquels les droits d’inscription sont justifiés par le niveau de revenu moyen obtenu par les diplômés de ces écoles en début de carrière.

Mais si cet argument est retenu, pourquoi est-ce que les universités ne pourraient pas adapter les frais d’inscription à leurs formations en fonction du potentiel salaire des futurs diplômés ?

 Enfin, le choix du Conseil d’Etat aura des conséquences sur le modèle économique de l’enseignement supérieur en France, entre financement public ou privé.[vii]

 Quoique le Conseil d’Etat décide, le débat est d’actualité,  dans un paysage universitaire mondial en évolution. Alors que les frais de certaines universités anglo-saxonnes sont en explosion, que les universités des continents non occidentaux sont en plein essors, notamment les universités d’Asie,[viii] la mobilité internationale constitue un enjeu de soft power.

En attendant l’arrêt du Conseil d’Etat, de nombreuses exceptions existent pour l’année scolaire 2019/2020, qui seront reprises l’année prochaine. Ne seront donc pas concernés par la hausse des frais d’inscriptions en 2020/2021 :  

-          Les étudiants ayant la nationalité d'un pays de l'Union Européenne, de l'Espace Economique Européen ou de Suisse,

-          les autres étudiants internationaux:

o   qui ont le statut de réfugié ou qui sont bénéficiaires de la protection subsidiaire,

o   porteurs d'une « Carte de séjour de membre de la famille d'un citoyen de l'Union/EEE/Suisse ».

 

D’autres exceptions existent, probablement reprises pour l’année 2020/2021 :

-          Les étudiants ayant la nationalité d'un pays qui a signé un accord avec la France : Andorre et Canada pour les étudiants domiciliés au Québec,

-          Les autres étudiants internationaux:

o   inscrits dans une classe préparatoire aux grandes écoles et ayant une double inscription en licence à l'université,

o   ayant déclaré leur foyer fiscal ou étant rattaché à un foyer fiscal en France depuis plus de 2 ans au 1er janvier 2019,

o   titulaires d'une carte de résident,

o   mineurs âgés de moins de 18 ans et descendants directs ou à charge du bénéficiaire de l'une de ces cartes,

o   déjà inscrits dans un établissement public d'enseignement supérieur en 2018/2019, tous niveaux confondus (Licence, Master, Doctorat),

o   inscrits dans un centre de français langue étrangère (FLE) avant la rentrée universitaire 2019/2020, ou

o   inscrits en doctorat, à l'habilitation à diriger des recherches et aux diplômes de 3e cycle des études médicales, odontologiques et pharmaceutiques.

De plus, seules 7 universités (sur plus de 70) ont appliqué l’augmentation des frais d’inscription pour les étudiants concernés. Les autres ont utilisé la liberté qui leur est laissé quant à un quota de 10% de leurs inscriptions. Toutefois, puisque les inscriptions sont en augmentation, de manière générale, et plus spécifiquement pour les étudiants étrangers, il est possible que ce quota de 10% soit dépassé l’année prochaine.

Enfin, la hausse des frais d’inscription est censée s’accompagner d’une augmentation du nombre de bourses attribuées aux étudiants étrangers par le Ministère des Affaires étrangères.[ix]

Le cabinet Haywood WISE avocats, accompagne régulièrement des ressortissants de toute nationalité dans leur projet d’études en Frances. Les avocats et juristes du Cabinet vous aideront à réaliser les diverses formalités nécessaires à l’obtention d’un titre de séjour étudiant en France, à le renouveler, et à changer de statut lorsque vos études prendront fin.

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[i] Ce chiffre est basé sur la dotation étatique aux universités qui serait de l’ordre de 10 000 euros par étudiant, même si le coût réel d’un étudiant est difficile, voire impossible, à quantifier. Voir http://blog.educpros.fr/julien-gossa/2019/01/18/combien-coute-une-formation-universitaire-et-par-extension-celle-des-etudiants-etrangers/.
[ii] http://www.leclubdesjuristes.com/blog/le-clair-obscur-de-la-consecration-du-principe-de-gratuite-de-lenseignement-superieur-public
[iii] http://www.etudiant.gouv.fr/cid96721/droits-d-inscription.html
[iv] https://www.dalloz-actualite.fr/flash/gratuite-de-l-enseignement-superieur-public-n-interdit-pas-frais-d-inscription-modiques#.XaiKWugzaUl
[v] https://www.education.gouv.fr/cid162/les-grands-principes.html
[vi] http://www.etudiant.gouv.fr/cid96721/droits-d-inscription.html
[vii] https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/le-financement-de-lenseignement-superieur-francais-dans-le-brouillard-1141556
[viii] https://www.lemonde.fr/campus/article/2018/09/26/classement-mondial-des-universites-the-2019-embellie-pour-les-facs-francaises_5360640_4401467.html
[ix] https://www.campusfrance.org/fr/bourses-etudiants-etrangers