La reconnaissance de la nationalité française par filiation maternelle : une voie affectée par la condition de la femme en matière de nationalité depuis 1889
Clotilde JEGOUSSE, Juriste
Cabinet d’Avocats Haywood Martin WISE
03 juillet 2021
La reconnaissance de la nationalité française par filiation maternelle : une voie affectée par la condition de la femme en matière de nationalité depuis 1889
Afin d’acquérir la nationalité française, un ressortissant étranger peut fonder sa demande sur différents moyens. L’on compte l’acquisition par naturalisation ou réintégration par décret, la déclaration de nationalité au titre du mariage avec un conjoint français, au titre d’ascendant de français ainsi qu’au titre de frère ou sœur de français.
Parallèlement à cette acquisition volontaire de la nationalité, il existe également une procédure permettant de reconnaître la qualité de français : la demande de Certificat de Nationalité Française (CNF), un document, délivré par le greffe des tribunaux, visant à prouver la citoyenneté française d’un individu. La demande de CNF peut, notamment, se fonder sur la filiation, nécessairement française. C’est cette question qui retiendra ici notre attention.
Dans le cadre d’une demande de CNF par filiation, le requérant doit donc démontrer que ses ascendants, paternels ou maternels, jouissaient de la nationalité française, sans jamais l’avoir perdue, pour aucun des motifs prévus par la loi. Cela nécessite un retour sur les lois applicables à travers les âges, et particulièrement applicables aux femmes. En effet, la transmission de la nationalité française par filiation maternelle s’est trouvée fragilisée par plusieurs lois prévoyant la perte de nationalité de la femme française. Cette potentielle perte de nationalité empêche aujourd’hui les demandeurs qui se prévalent de leur filiation maternelle française, ou dont la dévolution de la nationalité française dépend d’un ascendant de sexe féminin, de prétendre à la nationalité française.
Notre étude débutera avec la loi du 26 juin 1889, et concernera deux cas de perte automatique de nationalité française par les femmes : la perte de la nationalité à la suite d’un mariage avec un ressortissant étranger d’abord, et la perte de nationalité au moment de l’acquisition d’une nationalité étrangère ensuite.
Le mariage avec un ressortissant étranger et la perte de la nationalité française
L’article 19 de la loi du 26 juin 1889 dispose « La femme française qui épouse un étranger suit la condition de son mari, à moins que son mariage ne lui confère pas la nationalité de son mari, auquel cas elle reste française. Si son mariage est dissous par la mort du mari ou le divorce, elle recouvre la qualité de française, avec l’autorisation du gouvernement, pourvu qu’elle réside en France ou qu’elle y rentre, en déclarant qu’elle veut s’y fixer ».
Jusqu’en 1927, la femme française, à la suite d’un mariage avec un ressortissant étranger lui conférant la nationalité étrangère, perdait automatiquement la qualité de française. Seuls le divorce, la mort de son époux – ou la naturalisation de ce dernier, selon l’article 12 de la même loi – permettaient à la femme, déchue de sa nationalité, de la recouvrer.
Dans le contexte de la Première Guerre mondiale, théâtre d’une explosion des mariages mixtes, cette législation n’a rien d’anecdotique. Sur la seule période allant de 1915 à 1920, environ 56 000 femmes françaises ont ainsi épousé un étranger[1].
La loi du 10 août 1927 a néanmoins consacré une première évolution en la matière, en disposant, à l’article 8 alinéas 2 et 3 : « La femme française, qui épouse un étranger, conserve la nationalité française à moins qu’elle ne déclare expressément vouloir acquérir, en conformité des dispositions de la loi nationale du mari, la nationalité de ce dernier. Elle perd la qualité de Française si les époux fixent leur premier domicile hors de France après la célébration du mariage, et si la femme acquiert nécessairement la nationalité du mari, en vertu de la loi nationale de ce dernier ».
A partir de 1927, une femme mariée à un ressortissant étranger conservera donc, en principe, sa nationalité française, et ne la perdra que dans trois hypothèses :
- Si elle déclare vouloir acquérir la nationalité de son époux,
- Si elle fixe son premier domicile hors de France, ou
- Si elle doit, au regard de la loi nationale de son époux, acquérir sa nationalité.
L’ordonnance n°45/2447 du 19 octobre 1945 réduira encore davantage les possibilités de perte de nationalité. À l’article 94, elle dispose « La femme française qui épouse un étranger conserve la nationalité française, à moins qu’elle ne déclare expressément avant la célébration du mariage, dans les conditions et dans les formalités prévues aux articles 101 suivants, qu’elle répudie cette nationalité. La perte de la qualité de français ne peut être constatée que par un jugement prononcé conformément aux dispositions prévues au titre IV du présent code ».
Aujourd’hui, l’article 21-1 du code civil, issu de la loi du 22 juillet 1993, a balayé toute condition de conservation de nationalité à la suite d’un mariage avec un étranger, puisque « Le mariage n’exerce de plein droit aucun effet sur la nationalité ». La possibilité est néanmoins laissée au conjoint français, en cas de mariage avec un étranger, de répudier la nationalité française, selon l’article 23-5 du même code.
Si la nationalité d’une femme française mariée à un ressortissant étranger est longtemps restée subordonnée à celle de son mari, la législation a donc évolué pour lui conférer un caractère personnel, et non plus circonstanciel. Pourtant, ces lois successives exercent toujours une influence : elles font parfois obstacle à la reconnaissance de la nationalité française sur la base de la filiation maternelle, lorsque l’ascendante du requérant, en se mariant avec un étranger, a perdu la nationalité française.
Ce problème se pose également dans le cas de l’acquisition volontaire d’une nationalité étrangère par une femme française.
L’acquisition d’une nationalité étrangère et la perte de la nationalité française
Avec la loi du 26 juin 1889, et particulièrement son article 17, l’acquisition volontaire d’une nationalité étrangère ôte systématiquement à un individu, homme ou femme, sa qualité de français.
L’article 87 du code de la nationalité, issu de l’ordonnance n° 45-2441 du 19 octobre 1945, va également dans ce sens puisque « Perd la nationalité française le Français majeur qui acquiert volontairement une nationalité étrangère ».
Cependant, la même ordonnance, modifiée le 9 avril 1954 par la loi n°54-395, en vigueur jusqu’au 9 janvier 1973, disposera en son article 9 : « Jusqu’à une date qui sera fixée par décret, l’acquisition d’une nationalité étrangère par un Français du sexe masculin ne lui fait perdre la nationalité française qu’avec l’autorisation du Gouvernement français. Cette autorisation est de droit lorsque le demandeur a acquis une nationalité étrangère après l’âge de cinquante ans. Les Français du sexe masculin, âgés de moins de cinquante ans, qui ont acquis une nationalité étrangère entre le 1er juin 1951 et la date d’entrée en vigueur de la présente loi, seront réputés n’avoir pas perdu la nationalité française nonobstant les termes de l’articles 88 du code de la nationalité française. Ils devront, s’ils désirent perdre la nationalité française, en demander l’autorisation au Gouvernement français, conformément aux dispositions de l’article 91 dudit code. Cette autorisation est de droit ».
Si la décision QPC du Conseil Constitutionnel du 9 janvier 2014 a frappé d’inconstitutionnalité les mots « du sexe masculin » – révélateurs d’une différence de traitement entre les hommes et les femmes – sa portée rétroactive est limitée. Le Conseil Constitutionnel a en effet précisé que cette décision ne pourrait être invoquée que concernant les femmes ayant perdu leur nationalité française par application de l’article 87 de l’ordonnance de 1945 entre le 1er juin 1951 et l’entrée en vigueur de la loi du 9 janvier 1973.
Contrairement aux hommes, susceptibles d’être appelés sous les drapeaux et particulièrement protégés à cet égard, les femmes ont donc systématiquement perdu leur nationalité française chaque fois qu’elles ont acquis volontairement la nationalité d’un autre Etat, sans que leur consentement ne soit nécessaire, jusqu’à la décision du Conseil Constitutionnel.
Aujourd’hui, la perte de la nationalité française au profit d’une nationalité étrangère n’est plus systématique. L’article 23 du code civil dispose en effet : « Toute personne majeure de nationalité française, résidant habituellement à l'étranger, qui acquiert volontairement une nationalité étrangère ne perd la nationalité française que si elle le déclare expressément, dans les conditions prévues aux articles 26 et suivants du présent titre ».
Le requérant, dans le cadre d’une procédure de CNF, peut faire reconnaitre la non-perte de nationalité de l’ascendant qui a perdu la nationalité française par effet de la loi. Cependant, cette reconnaissance doit être judiciaire. Il ne suffit pas de se prévaloir de la décision QPC du 9 janvier 2014.
Le Cabinet de Maître Haywood WISE est compétent en matière de nationalité française, et particulièrement concernant la demande de Certificat de Nationalité Française, et peut vous accompagner dans vos démarches.
[1] Munoz Perez Francisco, Tribalat Michèle. Mariages d'étrangers et mariages mixtes en France. Evolution depuis la Première Guerre. In : Population, 39ᵉ année, n°3, 1984. pp. 427-462.